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REUZ !

Quel est cet air ?

Même face à la mer, sur la côte bretonne, l'air était lourd. L'air était lourd, mais ne manquait pas. D'ailleurs, sur les bords de mer et en plein hiver, ici, l'air ne manque jamais. Pourtant, je peinais à respirer pleinement, comme si, diffusément, j'étais pris d'une inexplicable difficulté respiratoire. Par cet air, mon esprit se trouvait embrumé, affaibli.

Dans quelques mois, ma troisième et dernière année de licence touchera à sa fin, et dans moins de temps encore, il me faudra trouver un chemin.

Quelle voie s'offre à moi ? Que m'est-il proposé ? Que suis-je en droit d'espérer ? Que ferais-je de si passionnant dans ma vie professionnelle future pour y passer ma journée ? Quelles incroyables et trépidantes tâches pourront m'être confiées, pour que je décide de m'enfermer toute la journée et de n'en sortir qu'une fois le soleil couché ?

À l'heure où j'écris ces lignes, mon train s'apprête à arriver à destination. Durant la majorité du parcours, j'ai vu des champs. Et des arbres enguirlandés de lierre, et des boules de guis attachés parfois par dizaines sur des branches nues. J'ai vu aussi deux oiseaux, que je ne reconnus pas de suite. Des faisans perdus. Il y avait bien sûr aussi des villes, des constructions. Quatre grands blocs blancs se dessinent ici, plus loin un clocher immerge au-dessus des vieilles maisons bretonnes. La direction ? Mon appartement. Mon petit studio de 17 mètres carrés.

Qui a-t-il de plus absurde que de fuir, à contre-courant du temps et des belles choses, pour freiner là où le lierre s'arrête, là où la vie devient insensible, inflexible. Le studio n'est pas un appartement, c'est un terrier. C'est dans ces sanctuaires que les êtres humains vont pour (entre autres) se dire que si, les choses sont stables, belles, sans faille et sans fin. Sans doute aussi pour ne pas se sentir en dehors du monde. Les pieds dans ses chaussons, sur le plancher de la maison vissée à la terre.

Il semble qu'être ne suffit pas. Il faut être à travers des murs, à travers de l'acier, des tissus et des choses inanimées. Le vivant ne paraît plus avoir suffisamment d'importance pour être défendu, et ce n'est pas étonnant quand on sait que les lois de la majorité des pays du monde mettent les vies humaines au même niveau que les marchandises et les objets. Marchandises et objets qui restent supérieurement considérés que les autres êtres vivants et que les choses "naturelles". Pourtant, je ressentais, face à ce spectacle agreste, un profond sentiment de contradiction. Une discordance entre un sentiment de sérénité et de manque, qui n'était pas personnelle, ou qui n'était que secondement personnelle. Le sentiment qu'il y a des choses autres, mais que nous ne sommes pas capables de les voir. C'est ce même air pollué qui rend les moments de lucidité rares. Cette brume que génèrent les villes rend l'admiration rare et convoitée. Elle rend les décisions biaisées, matérielles, pratiques, complexes.

Quelle voie s'offre à moi ? Vers quoi s'orienter dans un tel brouillard ? Comment prendre des décisions importantes ? À quoi se tenir pour rester debout et se diriger ?

Le train arrive maintenant en gare. Il freine. Il nous laisse, nous libère voyageurs et voyageuses, et les escalators nous amènent vers les lumières de la ville. C'est l'heure de rentrer au terrier. C'est après tout une des choses que je sais le mieux faire, reprendre les mêmes routes, encore et encore. Et les autres ? Rentrent dans leurs terriers.

D'autres chemins, d'autres lieux, mais le même brouillard qui plane au-dessus de nous, qui embrume l'esprit et affaiblit le corps.