Les Machaons
Le machaon, c'est un gros papillon. Un des plus beau, assurément. Un jour, mon père m'envoie un message : machaon sur fenouil. Je ne comprends pas. La photo n'étant pas partie, j'imagine un papillon posé sur le foeneculum vulgare du jardin de mes parents. J'en avais semé l'année dernière pour en récolter les graines au goût anisé.
Il s'agissait en fait de huit chenilles vertes et noirs installées sur la plante. Une fois rentrée, l'image de la plante dévorée m'à d'abord agacé... Comme tout jardinier, je me suis inquiété de ce festin imprévu. J'avais peur que ces petites créatures boudinées n'affaiblissent trop la plante au point d'empêcher sa croissance complète. Mais les chenilles étaient si belles.
Une semaine passe, peut-être quelques jours aussi et les chenilles ont doublé de volume. Je les vois se servir des pattes les plus en avant pour dévorer, millimètre par millimètre, les feuilles si particulières du fenouil. L'existence de cette plante que j'avais par la force mise au monde, était engagée dans des rapports complexes avec des espèces très différentes. D'un côté, je comptais sur elle pour récolter plus tard ses graines, et de l'autre huit chenilles contait sur elle, cette fois-ci, pour leur survie.
Le temps passe et les chenilles disparaissent. Une de moins. Puis trois. Bientôt, il n'en reste plus qu'une. Les septs autres sont partis. Où ? Aucune idée. Le jardin est bien grand.
Avant que la dernière ne disparaisse à son tour, j'en trouve une. Une chrysalide ! La chenille est parvenue, par je ne sais quelle transformation, de se maintenir dans un cocon si petit, tenu à une tige par un petit fil.
Puis les vacances... Je laisse de côté les machaons et le fenouil. Le temps s'étend un peu... Je profite de l'air des montagnes et du soleil. J'usqu'à être incapable de dire si nous étions mardi ou vendredi.
Mais à peine rentrée, deux semaines plus tard, l'image de la chrysalide me revient en tête. Le lendemain, je me dirige vers le fenouil en m'attendant à découvrir une coquille vide. La chrysalide est toujours là, mais elle a changé. À travers la fine épaisseur qui englobe l'insecte, on peut observer déjà les couleurs du papillon ! Du jaune, beaucoup de jaune, et du noir.
Et, comme s'il m'avait attendu, le lendemain, alors que je vais lui rendre visite, la chrysalide est vide. Il n'était pas parti bien loin. En fait, il était juste au-dessus de ma tête, plus haut dans le rosier sur lequel il avait élu domicile. Surprise de ne pas le voir s'envoler et surtout de le voir si grand.
Il devait juste sortir de son cocon, alors avant de prendre son envol, il lui fallait faire sécher ses ailes (et prendre la pose pour la photo). Il y en avait un deuxième, quelques pas plus loin, qui avait du sortir au même moment, car il ne volait pas encore.
Sur les huit chenilles, je n'ai vu que deux papillons. Sur les deux, j'en ai revu un deux semaines plus tard (ou peut-être était-ce un voisin). Je n'ai même pas vérifié combien de temps ces insectes vivent. J'ai juste ce vieux chiffre que quelqu'un (sans doute ma mère) m'avait donné quand j'étais petit. Celui, terrible, d'une espérance de vie d'une semaine. Bientôt, quand le fenouil s'épuisera, quand il passera du vert au brun, je récupérerai ses graines. J'en broierai une pincée que je ferais infuser dans une petite tasse d'eau bien chaude, et je dégusterai cette douce boisson en pensant, même au plus froid de l'hiver, à ces êtres colorés qui lui ont rendu visite, et qui m'ont émerveillée.
Souhaitons-nous de nous émerveiller. De prendre le temps d'observer. Feuilletonante, la vie des autres êtres se métamorphose sans cesse. Tout se reproduit, bien sûr. Tout est semblable, au final. Mais quand on prend le temps d'observer de près, de n'observer qu'un individu isolé, on se rend compte de la réalité des choses et de la pluralité des êtres. Et on se rappelle de ce que ça fait, de s'émerveiller. Il semblerait que ce sentiment de joie, ce soit tu au fur et à mesure que le temps passait. À sa place, on dit s'émerveiller, mais d'une force qui n'est en rien comparable, et qui n'est qu'émerveillement des choses contraintes, limités, techniques, marchandes.
Faisons l'expérience des observations libres ! De celles qui ne disent à priori rien, qui ne promettent rien, qui n'ont rien à proposer. Observons celles qui n'ont pas de plus-values ni de directivités données. Prenons le temps d'observer les rats, mouettes, corneilles de la ville. Mouvements lents ou rapides des nuages. Courses olympiques d'enfants qui se défoulent. Couleurs impitoyables des fleurs des parterres plantées par des personnages en combinaisons jaunes. Vent qui fait fouetter les lanières du sac à dos. Métro qui hurle en sortant de son trou. Observons loin, le plus loin possible. Profondément, le plus profondément possible.
Papillons skateur
Humain paysan
Ils ne font que vivre.