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REUZ !

Malva alcea

ATTENTION - Sujets sensibles abordées : santé mentale - dépression.

Je pourrais vous faire le détail des éléments qui caractérisent les troubles mentaux qui m'habitent et qui font de ma personne un individu marginal et asocial. Je pourrais faire poser un cadre de définition et de catégorisation comme le ferait un herboriste qui se pencherait sur une fleur d'un rose délicat et aux pétales fragiles et qui dirait : "Malva alcea". Je pourrais m'approprier ces maux et les faire miens. Je pourrais revendiquer cette particularité et en faire un "atout". Considérer que je vis habité par ce mal et que celui-ci est défini, encadré, délimité au sein de mon être. Que je, et que nous sommes capables de le comprendre. De savoir ce qu'il se passe et ce qui s'agite en dedans. De pouvoir, enfin, apprendre à en faire un "autre", à l'altériser, à le séparer de ma personne.

Mais ces maux sont archaïques. Ils ne peuvent se situer dans un cadre précis et réplicable. Ils prennent naissance d'une terre trop riche ou trop aride, d'un besoin incompréhensible de ne pouvoir se sentir bien avec ce qu'il y a de soleil, de ne pouvoir fleurir aussi longuement que les autres. De constater, in fine, que ses forces se vident, parfois insidieusement, jusqu'à faner plus tôt que prévu.

Quant à parler de la douleur, celle-ci s'est largement intensifiée lorsque je cherchai à définir ce qui me faisait perdre force. Avant cela, j'aurais sans aucun doute pu vivre encore. Comme un petit arbre qui vivote, empêché de lumière par ceux qui, si hauts, en sont couverts, je ne souffrais pas, car je n'avais pas idée qu'il pouvait y avoir, si près, autant de lumières, autant de beauté, autant de place.

Du constat de l'oppression et de l'étroitesse et de la découverte de cette étendue naît le terrible sentiment que quelque chose ne tourne pas rond. Comment, pourtant si semblable aux autres, ne suis-je pas capable d'être aussi grand, aussi magistral, d'être même seulement aussi vivant ? Comment ne suis-je pas parvenu à trouver à ma vie une place ? Ici naît la douleur. Une douleur désespérante, car inexplicable, qui semble pouvoir n'avoir été ordonnée que par le ciel.

Il y a donc nécessité à creuser l'origine et la présence de cette douleur diffuse. Comprendre ce manque qui ne manque de rien, cette impression de trop peu dans un monde de trop-plein. Creuser fait mal, il faut enlever la terre qui vous maintient dans le sol pour observer et compter les racines qui vous rendent à la fois vivant et prisonnier, existant et absent. Il faut être capable d'affronter ce qui constitue nos existences individuelles et ce qui constitue l'existence de l'Organisme et de la Terre. Il faut être capable de creuser, même si cet effort implique de déterrer des choses disparues ou enfouies. Et quand on ne trouve rien et que le manque est encore présent ? Il faut creuser encore. Car dans une terre trop pauvre, rien ne s'étend, tout finit par dépérir.

Je constate avec tristesse à quelle vitesse certaines fleurs tombent parfois. J'ai vu cette année des cerisiers abandonner leurs fleurs en une poignée de jours, forcés souvent par le vent. D'autres plantes meurent lentement. Le tournesol reste debout, longtemps. Il se dresse face au soleil, face au vent, finit par se plier légèrement sous le poids de ces graines avant de perdre de sa couleur, de s'épuiser puis de tomber.

Mais quelle vie, de celle du cerisier ou du tournesol, de la lavande ou de la mauve, ressemble le plus à la mienne ? À la vôtre ?

Cotylédons de lupin jaune

Il faut s'extraire

De la terre contaminée.